Al CAPONE-Décédé
Biographie de Al CAPONE :
Criminel, Gangster, Homme d’affaire et Hors-la-loi (Américain)
Né le 17 janvier 1899
Décédé le 25 janvier 1947 (à l’âge de 48 ans)
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De nombreuses inexactitudes ont été rapportées au sujet d’Al Capone dans les journaux, les magazines, les livres et les films. La plus fréquente est que, à l’instar des gangsters de l’époque, il est né en Italie, ce qui est complètement faux. Ce véritable tsar du crime était un produit local, transformant la société criminelle italienne en une entreprise purement américaine. Plusieurs immigrants italiens sont arrivés en terre américaine avec guère plus que ce qu’ils avaient sur leur dos, tout comme la plupart des immigrants des autres nationalités. La plupart étaient des paysans fuyant l’absence de possibilités de l’Italie rurale. Une fois arrivés en Amérique, ils finissaient comme ouvriers à cause de leur méconnaissance de la langue et l’absence de formation professionnelle. Ce n’était pas le cas de la famille Capone.
Gabriele Capone, et non Caponi, fut parmi les 43 000 italiens arrivés en sol américain en 1894. Barbier de profession et pouvant lire et écrire dans sa langue maternelle, il venait du village de Castellmarre di Stabia, situé au sud de Naples. Agé de 30 ans, Gabriele est accompagné de sa femme Teresina (aussi appelée Teresa), agée de 27 ans et enceinte, et de ses deux fils : Vicenzo, deux ans, et Raffaele, un poupon. Contrairement à plusieurs autres immigrants italiens, il arrivait sans devoir son passage. Il prévoyait travailler afin de pouvoir ouvrir son propre salon de barbier.
En compagnie de plusieurs autres italiens, les Capone s’établirent à Brooklyn, près du chantier maritime. L’appartement du 95 Navy Street n’avait pas l’eau chaude, pas de toilette intérieure ni de meubles et le voisinage était loin d’être tranquille, à cause de la proximité du chantier maritime. C’était un début austère dans ce nouveau monde. Savoir lire et écrire permi au père de famille de se trouver un emploi dans une épicerie jusqu’à ce qu’il puisse ouvrir son salon de barbier. Teresina faisait de la couture, afin de boucler les fins de mois, en plus de s’occuper de la maison et de ses fils. Son troisième enfant, Salvatore, naquit en 1895. Son quatrième fils, le premier à être conçu et mis au monde en Amérique, est arrivé le 17 janvier 1899. Il fut prénommé Alphonse.
Mais qui étaient ces deux personnes, elles qui ont donné le jour à un criminel mondialement connu ? Lui ont-ils transmis un gène violent dominant ? Un chromosome ayant subi un mystérieuse mutation ? Alphonse fut-il abusé ? A-t-il passé son enfance au milieu de meurtriers et voleurs ? La réponse à toute ces questions est non. La famille Capone était tranquille, très attachée aux valeurs tradditionnelles. Laurence Bergreen explique dans sa biographie «Capone : The Man and the Era» que la mère était renfermée tandis que son mari en imposait plus du fait de sa grande taille et de son charme. Tout comme son épouse, il était très modéré, particulièrement pour la discipline. Il ne frappait jamais ses enfants, préférant la parole et les sermons. La méthode fonctionnait.
Rien dans la famille Capone ne laissait présager ce qu’Alphonse Capone allait devenir. Aucune violence, maladie mentale ou malhonêteté. Parents et enfants étaient liés et aucun événement traumatique aurait poussé les enfants vers la vie de criminel. Aucun n’était psychotique ou psychopathe ni même fou. Ils ne descendaient pas d’une lignée de criminels. Ils étaient repectueux de la loi, une famille italienne tout à fait ordinaire ne démontrant pas un génie particulier pour le crime ou autre chose.
En mai 1906, Gabriele est devenu citoyen américain. Bien qu’ils aient conservé leurs noms italiens au sein de la famille, les enfants Capone furent connu sous leur nom américain : Vincenzo est devenu James ; Raffaele, Ralph ; Salvatore, Frank et Alphonse est devenu Al. Plus tard, Amadeo Ermino (John), Umberto (Albert John), Matthew Nicholas, Rose et Malfalda vinrent compléter la petite famille.
Peu après la naissance d’Al, Gabriele déménagea sa famille dans un meilleur logement situé en haut de son salon de barbier au 69 Park Avenue, à Brooklyn (et non pas la huppée Park Avenue située à Manhattan). Ce déménagement exposa Al à d’autres cultures puisque le voisinage comprenait des irlandais pour la plupart, mais aussi des allemands, suédois et chinois. Le contact avec d’autres ethnies permis à Al une évasion du milieu solidement lié et imperméable italien. Il ne fait aucun doute que cette ouverture aida Al dans son rôle de chef d’un empire criminel.
L’église de la paroisse St-Micheal était située à un coin de rue de la demeure des Capone et c’est son révérend, le Père Garofalo, qui baptisa Al, alors agé de quelques mois. L’atmosphère du quartier est décrite dans le livre de John Kobler, «The Life and World of Al Capone» : «La vie dans ce secteur, où Al passa ses dix premières années, était dur sans être ennuyant ; il s’y passait toujours quelque chose. Des groupes d’enfants vêtus de guenilles amenaient une vitalité explosive jouant au ballon balais, évitant le trafic, se battant et se plaignant pendant que leurs mères allaient et venaient du marché avec les provisions du souper du soir. Des paniers de fruits et légumes étaient alignés aux coins des rues, ce qui donnait de la couleur et une odeur au quartier. Les escaliers de secours ornant les appartements cliquetaient au passage des trains sur l’Avenue Myrtle.»
À l’âge de cinq ans, en 1904, Al fit son entrée à l’école publique no 7 sur la rue Adams. Les attentes scolaires face aux immigrants italiens étaient très pauvres, le système scolaire ayant beaucoup de préjugés face à ces enfants et faisant très peu d’efforts afin de les encourager à étudier. D’un autre côté, leurs parents les poussaient à travailler et rapporter dès qu’ils en avaient la possibilité et l’âge.
Bergreen décrit pour nous les conditions scolaires défavorables réservées aux immigrants italiens : Les écoles, comme celle fréquentée par Capone, n’offraient aucun support aux petits italiens naturalisés en fait d’intégration au style de vie américain. Les institutions étaient rigides, suivaient des dogmes sévères ou la force tenait souvent lieu de discipline. Le corps professoral consistait souvent d’adolescentes catholiques irlandaises ayant reçu une éducation dans les couvents. Il n’était pas rare de retrouver une jeune fille de 16 ans, gagnant à peine 600,00$ annuellement, enseigner à des jeunes ayant un à deux ans de moins qu’elle. Les coups étaient fréquents entre professeurs et élèves, même lorsque les élèves étaient des garçons et les professeurs des femmes. Pour Al Capone, l’école représentait un milieu disciplinaire sévère où la violence était la porte de sortie.
Al a très bien réussi jusqu’en sixième année, où tout a commencé à ce dégrader rapidement. À l’âge de 14 ans, perdant patience envers l’enseignante, elle le frappa et il la frappa à son tour. Il fut renvoyé et ne remis jamais les pieds à l,école. Au même moment, la famille déménagea au 21 Garfield Place. Ce changement eut un impact certain sur Al puisque c’est dans ce quartier qu’il fit la rencontre des deux personnes qui allaient l’influencer le plus : sa femme Mae et le gangster Johnny Torrio.
À quelques coins de rue de la maison familiale des Capone, un petit édifice plutôt sobre servait de quartier général à la plus prospère des gangs de la Côte Est. Johnny Torrio était un gangster de la nouvelle école, un pionnier de l’entreprise criminelle moderne. Les talents organisationnels et administratifs de Torrio ont donné une structure corporative à l’escrocquerie pure et simple, amenant la prospérité à toutes ses entreprises. Le jeune Capone a trouvé en Torrio un mentor inestimable qui lui permis de poser les assises de sa future entreprise criminelle qu’il allait établir à Chicago.
Torrio était chétif et appris à un très jeune âge que sur la rue, l’esprit, l’ingénuosité et la capacité de former des alliances étaient synonymes de survie. Gangster et gentilhomme, il menait au grand jour ses escrocqueries tout en gardant caché ses activités liées à la prostitution et à la tenue de maisons closes.
Torrio était un modèle pour plusieurs jeunes du quartier. Capone, à l’instar de plusieurs autres jeunes garçons, gagnait son pécule en faisant des commissions pour Torrio. Avec le temps, ce dernier en vint à avoir de plus en plus confiance au jeune Al et lui confia de plus en plus de responsabilités. Par ailleurs, Al fit ses classes en observant la façon de faire du gangster et de son entourage. Bergreen explique qu’une des leçon du maître fut de mener une vie extérieure aux activités illégales exempte de tous soupçons, de séparer sa vie personnelle et professionnelle. Un peu comme si maintenir une vie personnelle calme et exemplaire légitimisait les activités criminelles. C’est cette hypocrisie, une seconde nature chez Johnny Torrio, qu’il inculqua à Al Capone. En 1909, Torrio déménagea à Chicago et Capone tomba sous d’autres influences.
Les jeunes immigrants de Brooklyn se tenaient avec les leurs (les juifs avec les juifs, les italiens avec les italiens, les irlandais avec les irlandais…). Ce n’était pas les gangs violentes que nous connaissons aujourd’hui mais plutôt des groupes de jeunes garçons d’un même quartier se tenant ensemble. Capone était un dur qui fit partie des South Brooklyn Rippers puis des Forty Thieves Juniors et des Five Points Juniors. Comme le décrit John Kobler, les gangs de rues représentaient une évasion, la liberté et la soupape nécessaire à toute l’énergie réprimée de ces jeunes. Les écoles et les paroisses, qui auraient pu aider ces jeunes, n’avaient pas les fonds pour le faire. De plus, peu d’écoles étaient équipées d’un terrain de jeu ou d’un gymnase ou même d’un programme d’activités parascolaires. Ces jeunes formaient donc leur propre petit monde, à l’écart et opposé à celui des adultes. Avec à leur tête un garçon plus âgé, ils avaient leur propre agenda : explorations, paris, petits vols, vandalisme, expérimentations avec la cigarette et l’alcool, rituels secrets, réunions grivoises, bagares avec les bandes rivales.
Malgré les relations d’Al avec les gangs de rues et Johnny Torrio, rien ne laissait présager qu’il choisirait la voie du crime. Vivant chez ses parents, il fit ce qui était attendu de lui lorsqu’il quitta l’école : travailler et aider à faire vivre la famille. La famille Capone était prospère sous la férule de Gabriele. Le père était propriétaire de son salon de barbier ; la mère faisait des enfants, plusieurs garçons et deux filles, dont une mourru en bas âge. Le seul hic dans la vie tranquille de la famille fut lorsque Vincenzo (James) parti vers l’Ouest en 1908.
Personne alors ne pouvait croire qu’Al Capone deviendrait le tzar du crime qu’il devint. Pendant près de six ans, il occupa des emplois plutôt drabes, en premier dans une usine de munitions puis comme coupeur de papier, et était considéré comme un très bon employé. C’était un bon garçon, bien élevé et sociable. Bergreen raconte qu’Al n’était pas le genre à jouer avec des armes ; il rentrait tous les soirs chez lui. Al était un garçon affable, ayant une voix douce et n’ayant du talent que pour la danse.
Comment ce jeune garçon respectable à la voix douce est-il devenu l’un des plus prospère et violent gangster ? Une des raisons est la présence menaçante de Frankie Yale. Originaire de Calabre, Francesco Ioele (appelé «Yale») était craint et respecté. L’opposé du pacifique et «respectable» Johnny Torrio, Frankie Yale a bâti son empire à l’aide de ses muscles et de l’agression. Yale ouvrit un bar à Coney Island, le Harvard Inn, et engagea comme barman, sur les conseils de Torrio, Al Capone. Ce dernier avait alors dix-huit ans.
Capone occupait plusieurs fonctions dans le bar : barman, videur (bouncer) et, lorsque requis, serveur. Durant la première année, il fut très apprécié par son patron et les clients. Cela changea lorsqu’il servit à la table d’un jeune couple. La jeune femme était très belle et Capone n’y était pas indifférent. Il se pencha vers elle et lui dit : «Chérie, vous avez un beau cul et je vous en fait le compliment».
L’homme qui accompagnait la dame n’était autre que son frère, Frank Gallucio. Il se leva d’un bond et frappa celui qui venait d’insulter sa sœur. Capone devint enragé et Gallucio sorti un couteau afin de se défendre. Il atteignit Capone trois fois avant d’empoigner sa sœur et de quitter prestement l’établissement. Bien que la blessure guérit assez rapidement, elle laissa des cicatrices qui allaient hanter Capone jusqu’à la fin de ses jours.
L’insulte de Capone causa un peu de tumulte. Gallucio alla voir Lucky Luciano qui à son tour alla voir Frankie Yale. Ce dernier rassembla tous ceux concernés afin de se faire justice. Capone du présenter ses excuses à Gallucio et appris par le fait même à se contrôler lorsque nécessaire. Yale pris Capone sous son aile et lui montra comment une entreprise peu prospérer grâce à la violence. Yale était un homme violent, jamais à cours d’idées qui devait sa prospérité à ses gros bras. Selon Schoenberg, la spécialité de Yale était l’extorsion ; prêts sur gages, tributs de proxénètes et bookmakers et «protection» des commerçants locaux. Yale avait besoin de fiers-à-bras qui pouvaient non seulement blesser mais aussi tuer.
Quoique Yale eut quelque ascendant sur le développement Capone, il n’était pas le seul. À l’âge de dix-neuf ans, il rencontra une jolie irlandaise appelée Mae Coughlin de deux ans son ainée. Venant d’une famille de classe moyenne aisée, il est fort probable que les parents de la jeune femme n’ait pas nécessairement vu d’un bon œil leur relation. Ils se marièrent après la naissance de leur premier enfant.
Albert Francis Capone vit le jour le 4 décembre 1918 et eu pour parrain Johnny Torrio. Bien que Sonny, nom sous lequel il fut connu toute sa vie, soit né apparemment en bonne santé, il était atteint de syphilis congénitale. Plusieurs années plus tard, Al confia à son médecin qu’il avait attrapé la syphilis avant son mariage mais avait cru l’infection guérie. Avec une femme et un bébé à faire vivre, Al mis ses énergies sur un emploi respectable. Il quitta Frankie Yale et déménagea à Baltimore où il occuppa un emploi de comptable pour la firme de construction de Peter Aiello. Digne de confiance, intelligent et habile avec les chiffres, Al réussit très bien.
Du jour au lendemain, Al changea du tout au tout lorsque son père mourru le 14 novembre 1920 d’une maladie cardiaque à l’âge de cinquante-cinq ans. Selon Bergreen, la mort de son père mit fin à la carrière légale de Capone. Toujours selon Bergreen, il est possible que la disparition soudaine de l’autorité parentale amena le jeune Capone à abandonner sa carrière de comptable ainsi que son aura de respectabilité. Il reprit contact avec Johnny Torrio qui avait, au cours des années précédentes, étendu son empire criminel avec les yeux d’un visionnaire. Torrio avait laissé le quartier chaud de Brooklyn pour Chicago, plus ouverte. Les possibilités étaient énormes : gambling, bordels et… la contrebande d’alcool.
Torrio invita Capone à le joindre à Chicago et, début 1921, celui-ci accepta. Armé de ses connaissances en affaires et des manières brutales de Frankie Yale, Capone avait tout pour réussir une carrière criminelle. Chicago était l’endroit rêvé pour bâtir un empire criminel. C’était une ville tapageuse, batailleuse et où l’alcool coulait à flot, ouverte à quiconque avait assez de billets verts pour l’acheter. Reprenant les mots d’un de ses meilleurs journalistes, Chicago était vibrante et violente, stimulante et sans pitié, intolérante envers la suffisance, impatiente envers ceux physiquement ou psychologiquement timides. Ville sanguinaire et brutale, des millions de vaches, porcs et moutons étaient massacrés par des hommes pataugeant dans le sang répandu. C’était une ville strictement commerciale qui n’avait aucun intérêt pour le snobisme ou le vieil argent.
La corruption était une tradition créant une atmosphère d’illégalité dans laquelle le crime était à son aise. Chicago se fit connaître grâce à sa richesse et sa promiscuité sexuelle. Lorsque Al Capone arriva en 1920, le commerce de la chair était en phase de devenir la principale activité du crime organisé. Le chef des affaires était «Big Jim» Colosimo et sa femme et partenaire, Victoria Moresco, une tenancière ayant bien réussi. Leurs bordels rapportaient en moyenne 50 000$ par mois.
Big Jim était propriétaire du Colosimo Cafe, une des boîtes de nuit les plus populaire de la ville. Personne ne se souciait de ses activités de proxénétisme. Cela ne l’empêcha pas de se mêler aux riches. Enrico Caruso et l’avocat Clarence Darrow comptaient parmi ses fidèles clients. Big Jim, avec de gros diamants à chaque doigt ainsi que sur ses ceintures, était le véritable produit de Chicago : beau, généreux, voyant, plus grand que nature. Alors que son empire grandissait, Big Jim fit appel à Johnny Torrio, que la réputation avait précédé. Ce fut la meilleure décision car Torrio permit l’expansion de son empire sans attirer l’attention. Torrio était un homme d’affaires sérieux, n’ayant aucun intérêt pour les aventures extra-maritales. Tout le contraire de Big Jim, Torrio ne buvait pas, ne fumait pas, ne jurait pas et restait fidèle à sa femme, Ann.
La perte de Big Jim fut une jolie chanteuse dont il tomba amoureux. Il divorça de Victoria et épousa la chanteuse rapidement. La nouvelle de la folie de Colosimo rejoignit Brooklyn où Frankie Yale profita de l’occasion pour s’approprier de l’empire de Big Jim. Le 11 mai 1920, Yale assassina Big Jim dans sa boîte de nuit. Bergreen décrit ce qui fut les premières funérailles de gangster à Chicago : les derniers rites furent une affaire criarde plus appropriée à un politicien ou à une vedette de cinéma. Ce fut un événement où prêtres et policiers hauts gradés se présentèrent afin de célébrer la mémoire de quelqu’un qu’ils étaient supposés condamner. Colosimo était reconnu mondialement comme de premier proxénète de Chicago ; trois juges, un membre du congrès, un assistant procureur ainsi que neuf conseillers portèrent son cercueil.
La police finit par découvrir l’identité du meurtrier, qui fut arrêté à New-York. Cependant, le seul témoin était un serveur qui refusa de témoigner contre Frankie Yale. Ce dernier, bien qu’ayant réussi à éviter l’accusation, ne réussi pas à s’emparer de l’empire de Colosimo puisque Torrio garda bien solidement les rênes de l’empire qu’il avait bâti pour Big Jim. La prohibition aidant, Torrio se retrouva à la tête de milliers de maisons closes, maisons de paris et bars clandestins.
C’est dans ce vaste empire criminel que Torrio fit venir un jeune Capone de 22 ans, qui jusqu’alors occupait les fonctions honorables de comptable à Baltimore. Bien que l’argent et les possibilités d’avancement soient plus grandes à Chicago, Al était dérangé par la disgrâce reliée à la direction de maisons closes. On était en 1921 et Al avait à jamais tourné le dos à la respectabilité. Grâce à ses talents en affaires, Al devint rapidement l’associé de Torrio plutôt qu’un employé.
Al prit la gérance du Four Deuces, alors le quartier général de Torrio. Cet établissement avait l’avantage d’être à la fois un bar clandestin, maison de paris et maison close. Peu après, Ralph vint rejoindre son frère au sein de l’empire de Torrio. Au même moment, Al s’associa avec un homme qui allait être un ami toute sa vie durant, Jack Guzik. Étonnament, la grande famille de Guzik, bien que d’origine juive orthodoxe, gagnait sa croute grâce à la prostitution. Ayant un style de vie plus près de celui de Torrio, Guzik joua le rôle du grand frère de Capone. Ce dernier prouva encore une fois sa capacité à sortir de la communauté italienne comme il l’avait fait en épousant une irlandaise puisque son meilleur ami était juif. Son absence de préjugés et ses alliances à l’extérieur de la communauté criminelle italienne se sont avérés inestimables pour son avenir.
Plutôt aisé financièrement, Al se porta acquéreur d’une maison dans un quartier chic, soit au 7244 Prairie Avenue. Il y fit venir non seulement Mae et Sonny mais aussi sa mère et ses frères et soeurs. Soucieux de sa respectabilité, Al se fit connaître de ses voisins comme un revendeur de meubles de seconde main. Bergreen est convaincu que la maison sur Prairie Avenue ainsi que Mae et Sonny représentaient son désir de se racheter. Bien que comptant sur les faiblesses d’autrui pour s’enrichir, sa réputation et son standing dans la communauté représentaient une priorité pour lui. Plus il avançait dans le monde interlope, plus il idôlatrait sa famille, un peu comme si leur innocence prouvait qu’il n’était pas le monstre que les journaux ont décrit plus tard.
Tout demeura relativement calme entre les nombreux gangs qui ont mis sur pied le système d’escrocqueries à Chicago, et ce pendant les années qui suivirent l’arrivée de Capone. Le vent tourna lorsque William E. Dever succéda au maire corrompu «Big Bill» Thompson avec en tête de réformer l’administration municipale. Sous sa direction, il devint de plus en plus compliqué de distribuer des pots-de-vin et ainsi compter sur la protection que ces derniers apportaient. Torrio et Capone décidèrent donc de déménager le gros de leurs opérations dans la banlieue de Cicero, où l’administration et la force policière pouvaient être achetées.
Peu après l’ouverture d’une maison close à Cicero, Torrio ramena sa mère en Italie, laissant à Capone les rênes de l’entreprise à Cicero. Ce dernier donna des indications claires à l’effet qu’il voulait conquérir l’ensemble de la ville. Pour ce faire, il plaça son frère Frank (Salvatore), alors un jeune homme de 29 ans beau et respectable, en charge des communications avec les autorités. Frank devait, comme première tâche, ouvrir un bordel destiné à la classe ouvrière de la ville, le Stockade. Al concentra ses efforts sur les paris et s’intéressa de près à une maison de paris récemment ouverte, appelé le Ship. Il prit aussi le contrôle des piste de courses Hawthorne.
La conquête de la Ville par Capone se fit majoritairement sans opposition, si ce n’est de Robert St-John, un jeune et fougueux journaliste au Cicero Tribune. Chaque parution dévoilait un des racquets opéré par Capone et les éditoriaux eurent assez d’effet pour faire peur aux candidats financés par Capone en vue de l’élection primaire de 1924. Le jour de l’élection, les choses se dégradèrent lorsque les hommes de Capone kidnappèrent les employés électoraux des opposants et menacèrent de violence les électeurs. Pour parer à cette violence, le chef de police de Chicago rassembla 79 policiers équipés de fusils de chasse. Les policiers, habillés en civils, se dirigèrent vers Cicero à bord de voitures fantômes soit disant pour protéger les travailleurs de l’usine Western Electric.
Frank Capone venait de terminer les négociations pour une location lorsque le convoi de policiers le croisa. Il fut reconnu et les policiers se ruèrent sur lui. En quelques secondes, le corps de Frank fut criblé de balles. La police classa l’affaire comme légitime défense puisque Frank avait sorti son révolver à la vue des policiers armés venant vers lui. Al répondit en faisant escalader la violence d’un cran : il kidnappa des officiels et vola des boîtes de scrutin ; un officiel fut tué. Lorsque tout fut terminé, Capone avait gagné l’élection mais le prix de cette victoire allait le hanter toute sa vie durant.
Les funérailles de Frank Capone furent un modèle d’opulence. Les fleurs à elles seules, fournies par un autre escroc, le fleuriste Dion O’Banion, avaient couté 20 000 dollars. Bien que somptueuses, les funérailles de Frank furent différentes de celles de Big Jim Colosimo. Selon Bergreen, le parfum des fleurs, quoiqu’appaisant, ne réussissait pas à améliorer l’ambiance générale. L’ambiance festive des funérailles de Colosimo faisait défaut, un peu à cause de la jeunesse de Frank qui rendait l’événement tragique : les plaintes étouffées remplaçaient les chants. Collins, le chef de police de Chicago, avait dépêché des policiers en observateurs, ceux-là même qui avait abattu Frank Capone. Al Capone s’est retenu de déclarer la guerre au département de police.
La retenue de Capone dura presque cinq semaines, jusqu’à ce que Joe Howard, un petit gangster, s’en prit à Guzik lorsque celui-ci lui refusa un prêt. L’affaire parvint à Capone et celui-ci traqua Howard dans un bar. Howard fit l’erreur d’insulter Capone qui l’assassina. William H. McSwiggin, avocat réputé pour obtenir des condamnations, jeta son dévolu sur Capone sans toutefois réussir à le faire condamner puisque les témoins avaient la mémoire défaillante. Capone s’en tira mais la publicité entourant la cause lui apporta une notoriété qu’il n’avait encore jamais eue. Il s’était détaché du modèle de discrétion de Torrio à jamais.
À l’âge de 25 ans, quatre ans seulement après son arrivée à Chicago, Capone était devenu l’homme à abattre. Riche, puissant et maître de la ville de Cicero, il était la cible des hommes de loi et des gangsters. Capone était conscient que les prochaines grandes funérailles auxquelles il assisterait pourraient très bien être les siennes. La paix fragile entre les gangs que Torrio avait bâti avait disparu avec la prohibition. Les meurtres entre gangsters étaient devenus une épidémie.
Bien que le nom de Capone soit souvent lié à ces meurtres, le fait est que plusieurs autres gangsters que Torrio et Capone tentaient de tenir tranquilles en étaient responsables. Un bon exemple est Dion O’Banion, fleuriste et contrebandier d’alcool. Schoenberg le décrit comme un homme possédant l’amabilité perpétuelle d’un jeune garçon. Dion ne passait jamais pour un dur. Son habitude de qualifier même ses enemis des «bon gars» démontrait une courtoisie et une mentalité de bon vivant bien ancrées. Il était toujours souriant, sourire que seuls trahissaient des yeux d’un bleu glacial. Distribuant sans se fatiguer poignées de main et tapes dans le dos, il faisait attention de toujours se garder une main libre prête en tout temps à se rendre dans une des trois poches à révolvers cousues à même ses vêtements.
O’Banion était reconnu pour ses comportements bizarres comme abattre un homme au milieu d’une foule pour la moindre des raisons puis d’assassiner un homme après l’avoir rencontré à l’intérieur du Four Deuces, entraînant par le fait même Capone inutilement dans une enquête pour meurtre. Il devenait évident qu’il allait falloir faire quelque chose pour contrer le comportement impulsif, irresponsable et enfantin de Dion O’Banion.
Le plus gros problème était l’antipathie entre les alliés de Capone et Torrio : Dion et les frères Genna, amis proches de Torrio. La chicane débuta lorsque les frères Genna commencèrent à vendre de l’alcool tord-boyau aux clients de O’Banion. Bien que ses revenus provenant de la vente de bière n’en furent pas affectés, il s’agissait d’une question de principes pour lui. Il riposta en détournant un plein camion d’alcool des frères Genna ; Torrio se demandait comment il allait préserver la paix.
O’Banion offrit une porte de sortie à Torrio : il allait partir au Colorado si Torrio reprenait ses parts dans la brasserie Sieben. Sachant fort bien qu’une descente allait y avoir lieu, O’Banion se dépêcha de conclure l’entente. Non seulement Torrio se retrouva-t-il en prison mais O’Banion refusa de rembourser ce dernier pour une brasserie maintenant cadenassée. Mais plus grave encore, O’Banion se vanta d’avoir floué Torrio. Son sort était décidé.
Mike Merlo, tête dirigeante de l’Union sicilienne de Chicago (un groupe offrant une protection nationale aux gangsters de l’époque), fut emporté par le cancer. Des funérailles à sa mesure furent planifiées dans lesquelles Dion, le fleuriste attitré des gangsters, avait un grand rôle. Frankie Yale, à la tête de la puissante branche newyorkaise, Torrio et Capone s’entendirent sur le fait que Angelo Genna, que Dion venait d’humilier avec une dette de jeu, prendrait la relève à la tête de la branche de Chicago.
Deux jours après la mort de Merlo, le 10 novembre 1924, Dion préparait des fleurs pour les funérailles lorsque trois gangsters entrèrent dans son magasin. L’employé laissa les quatre hommes seuls. Attendant leur visite pour récupérer une couronne de fleurs, O’Banion les salua et tendit sa main. Un des hommes tira son bras et lui fit perdre l’équilibre. L’employé entendit six coups de feu et accouru afin de porter secours à son patron qui gisait au milieu de son sang. Les trois hommes avaient disparu. Il semble certain que deux des trois hommes étaient les dangeureux assassins siciliens John Scalise et Albert Anselmi quiqu’il y ait confusion quant à l’identité du troisième : Frankie Yale, en ville pour assister aux funérailles de Merlo ou Mike Genna. Aucun des présumés assassins furent accusés.
Les funérailles de Dion O’Banion furent prodigieuses. Le Chicago Tribune apprécia chaque détail criard : des poteaux en argent magnifiquement sculptés se retrouvent au quatre coins du cercueuil ; celui-ci est un modeste cercueuil de couleur argent, orné d’anges prostrés, tenant 10 chandelles allumées dans leurs mains, aux pieds et à la tête du cercueuil. Sans oublier le parfum des fleurs… Au parfum des fleurs se mêlait les fragrances portées par les femmes, portant de la fourrure des pieds à la tête, descendant l’allée au bras de gentilhommes élégament vêtus de noir. On estime à près de 10 000 personnes ont accompagné le cortège funèbre pendant que 5 000 attendaient au cimetière. Vingt-six autos et camions transportaient les fleurs, trois orchestres ainsi que l’escorte policière.
L’enterrement de Dion fut une célébration pour Torrio et Capone ; ils se retrouvaient à la tête d’un territoire de contrebande très lucratif en plus de s’être débarrassé d’un collègue pouvant s’avérer dangeureux. Ce qu’il n’ont pas apprécié, ce sont les répercussions de la mort de Dion et les conséquences pour eux-même. Alors que la police tentait d’élucider ce meurtre, l’ami de Dion O’Banion, «Hymie» Weiss, savait parfaitement qui en était responsable et avait juré de se venger.
À partir de ce moment, les enemis de Capone et Torrio portaient le nom de «Hymie» Weiss et Bugs Moran, un autre associé de Dion. Le véritable nom de Weiss était Earl Wajciechowski ; le surnom de Hymie lui est venu par hasard et le faisait passer pour un gangster juif alors qu’il était un catholique très pratiquant. Quant à Georges Moran, c’était un homme aussi instable que violent qui acquit le surnom de Bugs parce que tous le croyait fou («buggy»). Torrio craignait tant pour sa vie qu’il décida de quitter Chicago pour un temps. Il mit le cap sur Hot Springs, en Arkansas. Capone était aussi effrayé si bien qu’il prit tous les moyens possibles et imaginables afin d’assurer sa sécurité, ce qui n’empêcha pas les anciens collègues de Dion O’Banion d’attenter une douzaine de fois à sa vie.
Bergreen décrit l’effet des menaces sur la façon de faire de Capone. Bien que ce dernier ne soit pas armé du fait de son statut, il ne se déplaçait qu’accompagné de deux gardes du corps, un de chaque côté. À l’exception de sa demeure sur South Prairie Avenue, il n’était jamais seul. Il ne voyageait qu’en voiture, entre deux gardes du corps et conduit par un chauffeur de confiance armé nommé Sylvester Barton. Il préférait voyager à la faveur de la nuit, ne voyageant le jour que lorsque c’était absolument nécessaire.
En janvier 1925, 12 jours après la dernière tentative de meurtre contre Capone par le duo Weiss-Moran, Johnny Torrio revint à Chicago. Lui et sa femme venaient à peine de revenir de faire des courses et se rendaient à la porte de leur bloc appartement. Torrio se trouvait derrière sa femme et portait les sacs. Weiss et Bugs Moran surgirent alors d’une voiture et, pensant que Torrio se trouvait encore dans la sienne, tirèrent furieusement vers la voiture, blessant le chauffeur. Lorsque finalement ils apperçurent Torrio, il l’atteignirent à la poitrine et au cou, puis au bras droit et à l’aine. Moran pointa son arme sur la temple de Torrio et appuya sur la gachette ; n’ayant plus de balles, le pauvre Johnny Torrio n’entendit qu’un faible clic.
À l’hôpital, Capone prit les affaires en main alors que les chirurgiens retiraient les balles du corps de Torrio. La sécurité défaillante des hôpitaux rendant l’endroit dangeureux pour un gangster, Capone se chargea lui-même de la sécurité, dormant même sur un lit de fortune dans la chambre de Torrio afin de s’assurer que son mentor était bien protégé. Quatre semaines plus tard, Torrio surpris tout le monde en apparaissant en cour afin de répondre aux accusations concernant la descente à la Sieben Brewery. Frêle et secoué, il plaida coupable et fut condamné à neuf mois de prison. Ça aurait pu être pire ; il se lia d’amitié avec le shérif et celui-ci s’assura qu’aucune tentative de meurtre ne se produise durant son incarcération. Torrio fut traité comme un gentleman privilégié.
Les choses allaient cependant changer pour Torrio. Il ne voulait plus de la vie de gangster, préférant prendre sa retraite et vivre une vie tranquille grâce aux revenus substanciels qu’il générait. Il fit venir Al à la prison de Waukegan en mars 1925 et lui annonça qu’il quittait Chicago et partait vivre à l’étranger. Torrio léguait à Capone ainsi qu’aux frères Capone toutes ses possessions. C’était un leg de grande envergure : boîtes de nuit, maisons closes, maisons de paris, brasseries et bars clandestins. Le pouvoir de Capone venait de s’étendre immensément.
Peu après avoir pris le contrôle de l’empire de Torrio, un changement se remarqua chez Al Capone. Il était devenu une force majeure dans le monde interloppe de Chicago. Afin de démontrer sa montée, Capone déménagea son quartier général au Métropole Hotel. La suite luxueuse de cinq pièces qu’il occupait coûtait 1 500$ par jour. Il passa d’une relative obscurité à une visibilité cultivée. Son amitié avec l’éditeur de journaux Harry Read lui fit comprendre qu »il devait dorénavant agir comme le personnage important qu’il était devenu. Read lui suggéra de se montrer au grand jour et d’être aimable. Capone se fit voir à l’opéra, aux réunions sportives et dans les oeuvres charitables. Il était un membre influent de la communauté ; aimable, généreux, ayant réussi, approvisionnant une horde de clients assoiffés. À une époque où la majorité des adultes consommaient de l’alcool de contrebande, le contrebandier avait une aura de respectabilité.
Selon Bergreen, se montrer sous un jour favorable n’était que la première moitié du travail. La deuxième moitié concernait l’influence politique. C’est pour cette raison que presque tous les jours Capone se rendait au complexe qui habritait à la fois l’Hôtel de Ville et les bureaux du comté. Il fit tout en son pouvoir pour se rendre disponible et passer pour un homme sans peur. Il était toujours habillé élégamment, effacé, un homme gravitant dans la sphère politique. Son flair et sa propension à être vu en public n’étaient pas usuel parmi les contrebandiers qui, habituellement, fuyaient la publicité comme la peste.
En décembre 1925, Capone amena son jeune fils à New York afin de le faire opérer pour un problème chronique d’infections aux oreilles. Al était dévoué envers son fils unique et la santé chancelante de ce dernier l’inquiétait grandement. Capone profita de sa visite à New York pour conclure des ententes avec son ancien patron, Frankie Yale. Il s’agissait d’importation de whisky, rare parce qu’importé du Canada. Il était plus facile pour Yale de faire venir du whisky à New York que pour Capone à Chicago, ce qui faisait que Yale avait un surplus à écouler. Ils firent le nécessaire pour approvisionner Chicago, Capone devant se débrouiller pour le transport. Yale invita Al à la fête de Noël se tenant à l’Adonis Social and Athletic Club, nom honorable pour ce qui était en fait un bar clandestin de Brooklyn. Yale appris que la fête allait être interrompue par un gangster rival, Richard «Peg-Leg» Lonergan, accompagné de ses gros bras. Yale voulu annuler la fête mais Capone insista pour que tout se déroule comme prévu.
Capone avait prévu une surprise ; lorsque Lonergan et sa suite se présentèrent vers 3 heures du matin, ils étaient saouls et bruyants. Capone fit un signe et la foire commença. Lonergan et ses acolytes n’eurent même pas le temps de dégainer tant l’attaque les avait surpris. Le massacre de l’Adonis n’était qu’une pratique sur un ancien terrain de jeu. C’était aussi une manière de démontrer la supériorité des manières de Chicago sur celles de New York. «Chicago est la ville impériale des gangsters tandis que New York fait figure de province lointaine», écrit Alva Johnston dans le New Yorker. À Chicago, la bière a transformé le chef d’une bande de gansters, de tireurs et de gros bras en p-dg d’une entreprise d’envergure nationale et internationale. La vraie bière, tout comme l’eau potable et le téléphone, est un monopole naturel. Johnston continua ensuite en traçant le portrait d’Al Capone comme étant le plus grand chef des gangsters de l’histoire.
De retour à Chicago au début de 1926, Capone était d’excellente humeur. Non seulement avait-il laissé sa marque à New York mais le marché conclu pour le whisky avait changé le monde du transport entre les États. Les jeunes hommes ayant le goût pour l’aventure et un besoin d’argent gagnaient très bien leur vie comme transporteurs pour Al Capone. Au printemps 1926, la bonne fortune de Capone tourna. Le 27 avril, Billy McSwiggin, l’avocat qui avait tenté de faire condamner Capone en 1924 pour le meurtre de Joe Howard, fut impliqué dans un accident. Il quitta la maison de son père, un détective expérimenté de Chicago, pour aller avec «Red» Duffy jouer aux cartes dans un des établissements de Capone. Un contrebandier du nom de Jim Doherty les à bord de sa voiture.
La voiture de Doherty tomba en panne et ils montèrent à bord de la voiture d’un autre contrebandier, «Klondike» O’Donnell, ennemi juré de Capone. Les quatre irlandais décidèrent d’aller boire à Cicero en compagnie du frère de Klondike, Myles O’Donnell. Ils se retrouvèrent dans un bar à proximité du Hawthorne Inn où Capone était en train de souper. Le passage d’O'Donnell à Cicero était en une insulte territoriale. Capone et ses hommes, ignorant la présence de McSwiggin, attendirent à l’extérieur dans leurs voitures que les quatre hommes sortent du bar. Lorsque le moment arriva, ils sortirent leurs mitraillettes ; McSwiggin et Doherty furent mortellement atteint.
Le blâme se porta sur Capone. Malgré le fait que McSwiggin se soit trouvé en compagnie de contrebandiers, la sympathie se tourna vers lui. Il y eu un mouvement contre la violence des gangsters et le sentiment public se tourna contre Capone. Bien que tous à Chicago savaient qu’Al Capone était responsable, aucune preuve ne put être trouvée et l’échec de l’enquête visant à porter des accusations fut une tache pour les officiels de la ville. La police se vengea sur les maisons closes et les bars clandestins de Capone, qui furent l’objet de descentes et d’incendies.
Capone disparu de la circulation pendant les trois mois d’été. Supposément, plus de 300 détectives le recherchèrent dans tout le pays, au Canada et même en Italie. En fait, Capone trouva refuge en premier chez un ami à Chicago Heights puis, pour la plupart du temps, chez des amis à Lansing, au Michigan. Les trois mois passés caché marquèrent à jamais Al. Il commença à se percevoir comme plus qu’un contrebandier ayant réussi, mais comme une source de fierté pour la communauté italienne, un bienfaiteur généreux ainsi qu’un important réparateur pouvant aider les autres. Ses opérations de contrebande employaient des miliers de personnes, plusieurs étant de pauvres immigrants italiens. Sa générosité faisait figure de légende à Lansing. Bien que la plupart de ses idées étaient le fruit de son égo grandissant, Capone était un gestionnaire doué et avait la capacité d’utiliser ses pouvoirs afin d’en faire bénéficier la communauté. Il pensait sérieusement à se retirer de la vie criminelle et violente.
Ne pouvant se cacher éternellement, il planifia une rentrée calculée mais risquée. Il négocia sa reddition avec la police de Chicago. C’était le premier pas vers la nouvelle vie à laquelle il se destinait : suite à l’abandon des accusations de meurtre déposées contre lui, il utiliserait sa vaste fortune pour financer des entreprises légitimes et devenir ainsi le héros de la communauté italienne. Le 28 juillet 1926, Capone se rendit aux autorités afin de répondre du meurtre de McSwiggin. Ce fut une bonne décision puisque la police n’avait pas assez de preuves pour le citer à procès. Après tout le tapage fait autour de l’affaire par la population et les efforts des autorités policières, Al Capone était un homme libre. Les policiers, quant à eux, faisaient figure d’incapables.
Capone, en accord avec son nouveau rôle de pacificateur, fit une dernière tentative afin de conclure une alliance avec Hymie Weiss malgré une tentative de meurtre récente. Il lui proposa un marché très lucratif en échange de la paix, que Weiss s’empressa de refuser. Le lendemain, Hymie était abattu à l’âge vénérable de 28 ans. La population de Chicago en avait assez de lire sur de la violence des gangs et les journaux alimentaient leur hargne. Capone tint une «conférence de la paix» au cours de laquelle il demanda aux autres contrebandiers de mettre un frein à cette violence. «Il y a assez d’occasions d’affaires pour nous tous sans que nous soyons obligés de s’entretuer comme de vulgaires animaux. Je ne veux pas finir dans la rue troué par les balles d’une mitraillette.» Capone avait convaincu l’assemblée. À la fin de la réunion, une amnistie avait été négociée. Deux points majeurs étaient à souligner : premièrement, il n’y aurait plus de meurtres ni de raclées et deuxièmement, les meurtres passés ne seraient pas l’objet de vengeance. Personne relié à la contrebande ne fut tué pendant plus de deux mois après la conférence.
En janvier 1927, le cadavre d’un des meilleurs amis de Capone nommé Theodore Anton ou «Tony the Greek» fut découvert. Capone était inconsolable et commença à penser de plus en plus sérieusement à la retraite. Il invita un groupe de journalistes chez lui pour un souper spaghettis afin de leur annoncer sa décision. Était-il sérieux ou jouait-il la comédie ? Il était probablement sérieux sur le fait de prendre sa retraite avant de se retrouver avec une balle dans la tête mais sa soif de pouvoir et d’aventures repoussait la date réelle de sa retraite.
Avec l’échec des réformes du maire Dever, la montée de Chicago au rang de cité impériale du crime fut la principale plate-forme électorale des élections de 1927. «Big Bill» Thompson, aidé par les énormes moyens financiers du crime organisé, reprit le pouvoir. Il apparaissait que les criminels auraient la ville en leur possession à tout jamais. Toutefois, quelques nuages se profilaient à l’horizon et allaient produire un impact majeur sur la ville de Chicago, sur la contrebande et sur Capone. En mai 1927, la Cour Suprême ordonna à Manny Sullivan, contrebandier de son état, de produire une déclaration de revenus provenant de la contrebande et de payer ses taxes. Le fait qu’une telle déclaration amenait la personne à s’auto-incriminer n’était nullement inconstitutionel. Grâce à la décision Sullivan, l’unité spéciale du fisc dirigée par Elmer Irey pouvait s’attaquer à Al Capone.
N’ayant pas pris connaissance par manque d’intérêt de Manny Sullivan ou Elmer Irey, Capone devint de plus en plus extroverti et expansif. Il se lança à fond dans ses deux passions : la musique et la boxe. Il se lia d’amitié avec Jack Dempsey mais leur relation resta discrète afin d’éviter les soupçons de combats arrangés. Ayant toujours aimé l’opéra, Capone s’intéressa de plus près au jazz. Avec l’ouverture du Cotton Club à Cicero, Al devint producteur de jazz, attirant et produisant les meilleurs musiciens noirs de jazz de l’époque. Al ne semblait pas, comme les autres gangsters italiens, avoir des idées raciste et gagna le respect et la confiance de la plupart de ses musiciens. Capone démontrait sa générosité et se souciait de tous ceux qui travaillaient pour lui, peu importe la couleur de leur peau.
Bergreen décrit la façon avec laquelle Al s’imisçait dans la vie de ses proches : il ne les dominait pas en criant, en les écrasant ou en les intimidant, quoique la menace de la violence physique soit toujours présente, mais en allant chercher à l’intérieur de quelqu’un, s’intéressant à ses désirs et à ses inspirations. En les valorisant, il obtenait en retour la loyauté, essentielle pour Capone. La loyauté représentait sa seule assurance de rester en vie. Le meilleur compliment que les autres pouvaient lui faire était de se déclarer ami puisque cela signifiait qu’ils ne se préoccuppaient pas de sa réputation scandaleuse, ou de ses activités comme proxénète et meurtrier. «Rendre un service public est mon but.» Telle est ce que Capone affirma aux journalistes à l’approche de Noël. «Près de 90% des habitants de Chicago boivent et jouent. J’essaie de leur servir de l’alcool de bonne qualité et des jeux équitables. Cependant, je ne suis pas apprécié puisque je suis perçu à travers le monde comme un gorille millionnaire.» L’exposition devenait une nuisance. Lorsqu’il fit un voyage en Californie, la police le suivit pas à pas. Un des meilleurs détective de Los Angeles déclara qu’il n’y avait pas de place pour Capone ou pour tout autre gangster, que ce soit pour un voyage d’agrément ou non.
Lorsque Capone revint à Chicago, il se retrouva cerné par six policiers de Joliet, prêts à tirer. Les policiers s’étaient donné le mot afin de lui rendre la vie aussi dure que possible. Ils cernaient sa maison et l’arrêtaient à la moindre provocation.
Capone alla à Miami, où la température était plus clémente, mais la communauté locale lui fit une réception glaciale. Accompagné de sa femme et de son fils, il loua une immense maison pour l’hiver et se mit en quête d’une résidence permanente. Avec l’aide d’un intermédiaire, Capone acheta une maison de style espagnol de 14 pièces sise au 93 Palm Island, maison qui avait été bâtie par le brasseur Clarence Bush. Durant les mois qui suivirent, il y investi une petite fortune en décoration, transformant la maison en forteresse avec des murs en béton et de lourdes portes en bois.
Le domaine sur Palm Island vint à l’attention d’Elmer Irey, de la brigade spéciale du fisc. Ce dernier confia à Frank J. Wilson la tâche de documenter les revenus et les dépenses d’Al Capone. C’était un travail colossal : malgré les dépenses folles, tout était transigé à l’aide d’intervenants et en argent comptant. La seule exception consistait en la maison de Palm Island dont la seule possession démontrait une source de revenus majeure.
En même temps, George Emmerson Q. Johnson fut nommé procureur général de Chicago. Johnson s’attaqua passionnément à Capone. À l’aube des élections primaires d’avril 1928, la violence devint hors de contrôle. Johnson lui-même fut l’objet de menaces à la bombe. Il n’est pas clair qui orchestrait le tout mais cette fois, ce n’était pas les gangsters qui étaient les victimes mais le sénateur Charles Deneen, un juge et réformateur. Le maire Bill Thompson, extrèmement corrompu, était présumé responsable puisque les victimes étaient ses adversaires, mais le bouc-émissaire fut Capone, alors en Floride.
Pendant que Mae Capone s’occupait à redécorer leur demeure, Al occupa le printemps 1928 à s’établir en temps que citoyen légitime de Miami. Malgré l’apparence extérieure de respectabilité, Al planifiait la résolution des problèmes pressants causés par son ancien patron, Frankie Yale. L’entente concernant l’envoi d’alcool était trop souvent détournée et Capone soupçonnait Yale d’en être responsable.
Al fit venir en Floride six de ses patenaires de Chicago afin de décider de la marche à suivre concernant Yale. «Vers le milieu de l’après-midi du dimanche 1er juillet, Frank Yale, ses cheveux noirs et sa peau foncée tous deux rehaussés par un chapeau Panama et un complet d’été de couleur gris clair, buvait dans un bar clandestin de Borough Park lorsqu’il fut demandé au téléphone. Il raccrocha prestement et rejoignit rapidement sa voiture stationnée tout près. Quelques minutes plus tard, sur la 44ième rue, une berline noire lui barra la route à l’intérieur d’une courbe. Une pluie de balles provenant de plusieurs armes, soit des révolvers, fusils tronçonnés et mitraillettes, le clouèrent sur son siège. C’était la première fois que la mitraillette «Tommy», nommée ainsi en l’honneur de son concepteur, était utilisée afin d’abattre un gangster new-yorkais.»
Durant l’été 1928, Capone installa ses quartiers au Lexington Hotel, autrefois réputé. Il y occupait deux étages où il vivait à la manière d’un potentat dans sa suite de six pièces munie d’une cuisine spéciale pour ses repas préparés. Des portes secrètes furent installées afin que Capone puisse s’enfuir sans être découvert si le besoin s’en faisait sentir.
Il était clair pour Capone que la Prohibition n’allait pas durer éternellement. C’est pourquoi il se diversifia dans les escroqueries. Un journal économique de Chicago expliqua que l’escroc pouvait être le patron d’une association d’affaire suposément légale. Qu’il soit un criminel qui se soit imposé comme chef d’une quelconque union ou qu’il soit un organisateur, les méthodes utilisées sont les mêmes. En lançant des briques dans quelques fenêtres ou en commettant un meurtre, il rassemble un groupe d’hommes d’affaire pour former une association de protection. Il procède alors à la collecte de frais, d’amendes et fixe les prix et les heures d’ouverture. Tout commerçant qui ne respecte pas l’entente ou qui cesse de payer son tribut est alors victime d’attaques à la bombe, se fait tabasser ou intimider.
Comme lors de ses activités de contrebande, Capone se heurta au même ennemi : Bugs Moran. Moran avait tenté par deux fois d’assassiner l’ami et partenaire de Capone, Jack McGurn. Lorsque Capone partit pour l’hiver à Miami, Jack lui rendit visite afin de discuter des problèmes récurrents amenés par Bugs Moran et sa bande des North Siders.
Ni McGurn, ni Capone ne pensèrent un seul moment que l’assassinat planifié de Bugs Moran serait un événement qui deviendrait notoire pour plusieurs dizaines d’années. Capone se prélassant en Floride, comment pouvait-on le rendre responsable du meurtre d’un contrebandier ? «Machine Gun» McGurn avait le plein contrôle de l’attaque. Il rassembla une équipe de première classe composée gens de l’extérieur : Fred «Killer» Burke en était le chef et était assisté par un tirreur du nom de James Ray. Deux autres membres étaient John scalise et Albert Anselmi, qui avaient été utilisés pour le meurtre de Frankie Yale. Joseph Lolordo faisait aussi partie du groupe, tout comme Harry et Phil Keywell, du Purple Gang de Détroit. Le plan de McGurn était créatif. Un contrebandier invita les membres du gang de Moran à le rencontrer dans un garage afin de leur offrir du whisky de qualité à un prix imbattable. La livraison allait être faite à 10h30, le 14 février. Les hommes de McGurn allaient les attendre vêtus d’uniformes de police et d’imperméables, donnant l’impression qu’un raid allait se dérouler.
McGurn, à l’instar de Capone, voulait être le plus loin possible de la scène. Il se réfugia donc dans une chambre d’hôtel en compagnie de sa compagne. Établir un alibi en béton était sa priorité. Au garage, les Keywells apperçurent un homme ressemblant à Bugs Moran. L’escouade meurtrière enfila les uniformes de police et se rendirent au garage à bord de la voiture de police volée. Jouant leur rôle d’agents de police jusqu’au bout, les hommes de McGurn pénétrèrent dans le garage et y trouvèrent sept hommes, incluant les frères Gusenberg, ceux-là même qui avaient tenté d’assassiner McGurn.
Les contrebandiers, pris sur le fait, firent ce qu’on leur demandait ; ils s’alignèrent au mur. Les quatre hommes habillés en policiers s’emparèrent des armes des contrebandiers et ouvrirent le feu avec deux mitraillettes, un fusil à canon scié et un .45. Les contrebandiers s’affaissèrent, tous morts à l’exception de Frank Gusenberg qui respirait encore. Afin de faire croire à leur charade, les deux policiers en imperméables levèrent leurs mains en l’air et sortirent devant les deux autres policiers, simulant une arrestation. Les quatre assassins quittèrent les lieux à bord de la voiture de police volée.
Le plan était brillant et avait été exécuté brillament à l’exception d’une chose : la personne visée, Bugs Moran, était absent. Moran était en retard et, appercevant la voiture de police, s’était enfui, ne voulant pas être arrêté lors du raid. Peu après, de vrais policiers arrivèrent au garage et apperçurent Gusenberg, transpercé de 22 balles, sur le plancher. «Qui a tiré ?» lui demanda le sergeant Sweeney. «Personne…personne ne m’a tiré dessus», murmura Gusenberg. Son refus d’impliquer ses meurtriers dura jusqu’à sa mort peu de temps après.
Ça ne prenait pas un génie pour découvrir que la cible du massacre était Bugs Moran et que le bénéficiaire, si le plan avait été mené à bien, était Al Capone. Malgré le fait que Capone ait été en Floride et que Jack McGurn ait un solide alibi, les policiers, les journaux et la population de Chicago savaient qui était responsable. La police pouvait difficilement arrêter Capone vu l’absence de preuves et McGurn avait épousé sa compagne, Louise Rolfe, mieux connue comme l’«alibi blond», qui de ce fait ne pouvait plus témoigner contre son nouveau mari. Toutes les charges contre lui furent donc abandonnées et personne ne fut accusé du spectaculaire assassinat.
La publicité entourant le massacre de la St-Valentin fut sans précédent. Elle ne fut pas seulement locale mais l’événement médiatique au niveau national qui propulsa Capone dans la conscience nationale ; écrivains et journalistes se mirent à écrire des livres et des articles sur lui. Bergreen voit dans le massacre la consécration de Capone.«Il n’y avait jamais eu auparavant de criminel comme Capone. Il était élégant, avait de la classe, était la crème de la crème. Il était remarquablement effronté, continuant de vivre parmi la haute société de Miami et de proclamer son amour pour sa famille. Il ne passait pas pour un mésadapté social. Il jouait le rôle du millionnaire capable d’en apprendre aux hommes d’affaire de Wall Street sur la façon de transiger en Amérique. Personne n’était indifférent à Capone ; chacun avait son opinion sur lui…»
Capone appréciait sa notoriété et confia à Damon Runyon l’emploi d’agent de presse. Malgré tout, la publicité avait fait son œuvre. Il attira l’attention du président, Herbert Hoover. «J’ai donné l’ordre à toutes les agences fédérales de surveiller de près M. Capone et ses alliés» écrit-il. Au début du mois de mars 1929, Hoover demanda à Andrew Mellon, alors secrétaire trésorier, si il avait Al Capone dans ses filets. Hoover voulait voir Capone en prison. Quelques jours plus tard, Capone fut convoqué au tribunal de Chicago ; il ne semblait cependant pas réaliser le sérieux des preuves qui s’ammassaient contre lui.
Capone avait des choses plus pressantes à faire que de se présenter devant le tribunal. En effet, deux de ses collègues lui causaient des problèmes. Kobler décrit la scène dans laquelle Capone régla le problème. «Rarement avait-on vu les trois invités d’honneur s’asseoir devant un tel festin. Ils se régalèrent avec de la nourriture riche et piquante, arrosant le tout de plusieurs litres de vin rouge. Au bout de la table, Capone portait toast après toast à la santé de ses invités : Saluto, Scalise ! Saluto, Anselmi ! Saluto, Giunta !
Quand, bien après minuit, la dernière miette avait été avalée et la dernière goutte bue, Capone se leva. Un silence glacial emplit la salle. Son sourire avait disparu. Personne ne souriait à part les trois invités d’honneur, rassasiés, digérant tranquilement leur repas gargantuesque. Lorsque le silence s’alourdit, eux aussi devinrent silencieux. Ils parcoururent nerveusement des yeux la table alors que Capone se penchait vers eux. Ses paroles étaient perçantes. Croyaient-ils qu’il ne le savait pas ? Imaginaient-ils pouvoir cacher indéfiniment leur manque de loyauté, faute impardonnable ? Capone avait suivi la tradition à la lettre. Hospitalité puis exécution. Les siciliens étaient sans défense, ayant, à l’instar des autre invités, laissé leurs armes au vestiaire. Les gardes du corps de Capone se jetèrent sur eux, les attachant à leurs chaises et les baillonnant. Capone se leva, armé d’un bâton de baseball. S’avançant lentement vers le premier, il s’arrêta derrière lui. Avec ses deux mains, il brandit le bâton et frappa de toute ses forces. Lentement, méthodiquement, il frappa encore et encore, brisant tous les os des épaules, des bras et de la poitrine. Il alla ensuite derrière le deuxième invité et, lorsqu’il l’eut réduit en un amas de chair, s’attaqua au troisième. Un des gardes de corps alla chercher son révolver au vestiaire et logea une balle à l’arrière de la tête de chacun d’eux.»
Même si Capone ne le réalisait pas, la publicité entourant le massacre de la St-Valentin, peu importe sa tendance, catalisa les forces gouvernementales contre lui. Après seulement quelques jours à la présidence, Hoover mis de la pression sur Andrew Mellon, le secrétaire du Trésor, pour faire avancer la bataille du gouvernement contre Capone. Mellon adopta une approche sur deux fronts : rassembler assez de preuves afin de prouver l’évasion fiscale et amasser des preuves afin de l’accuser de violation de la Prohibition. Une fois les preuves rassemblées, les agents de la trésorerie devaient s’allier au procureur général, Georges E. Q. Johnson, afin d’engager des poursuites contre Capone et les membres clés de son organisation.
L’homme qui avait la responsabilité de rassembler les preuves concernant les violations envers la Prohibition, soit la contrebande, était Eliot Ness ; il débuta en rassemblant un groupe de jeunes agents fringants tout comme lui. Le plus actif était sans contredit Elmer Irey, de la brigade spéciale du fisc, qui redoubla ses efforts à la suite du mandat de Hoover. Puisque qu’il était douteux que l’on puisse accuser et faire déclarer coupable Capone des accusations concernant la Prohibition à Chicago peu importe le poids des preuves amassées, Mellon se concentra sur les accusations d’évasion fiscale, où une condamnation était plus sûre grâce à la décision Sullivan.
Capone n’avait pas connaissance, initialement du moins, des forces qui se montaient contre lui et ne laissait pas les agents fédéraux le déranger. Au milieu du mois de mai 1929, Capone se rendit à une conférence à Atlantic City où les gangsters de toutes sortes venant de partout au pays se rencontrèrent afin de discuter de coopération pour remplacer la destruction. Afin de garder la violence et la rivalité à un minimum, ils divisèrent le pays en «sphères d’influence». Torrio fut nommé à la tête d’un comité exécutif qui allait arbitrer les disputes et punir les traîtres. Les participants décidèrent que Capone devrait laisser son empire de Chicago à Torrio afin que ce dernier le divise selon ses propres termes. Capone n’avait aucune envie de céder son empire à Johnny Torrio ou de le diviser.
Après la conférence, Capone se rendit voir un film à Philadelphie. Lorsque le film fut terminé, deux détectives l’attendaient. En moins de 24 heures, Capone était arrêté et emprisonné pour avoir camouflé une arme sur lui. Capone retira sa bague de diamant et la remit à son avocat afin qu’il la remette à son frère Ralph. Il fut envoyé en premier à la prison du comté de Holmesburg puis au pénitentier de l’Est où il resta jusqu’au 16 mars 1930. Ralph, Jack Guzik et Frank Nitti «The Enforcer» furent chargés de l’entreprise durant ce temps.
Un deuxième coup porté à l’empire de Capone fut l’arrestation de Ralph pour évasion fiscale au mois d’octobre de la même année. Voulant donner un exemple aux autres gangsters, les agents fédéraux arrêtèrent Ralph lors d’un match de boxe et l’amenèrent menotté. Cette arrestation culminait la persistance d’Elmer Irey, qui investiguait Ralph depuis quelques années. Ce dernier était bien moins habile que son frère lorsque venait le temps de cacher ses richesses et ses transactions. Sa négligence, sa cupidité et sa stupidité en faisait une cible de choix pour un agent du Trésor ambitieux comme Eliot Ness, qui avait mis ses lignes téléphoniques sur écoute, et pour Nels Tessem, un agent du fisc bourré de talents qui avait passé au peigne fin toutes les transactions faites par Ralph. Nitti et Guzik durent aussi passer devant la cours de taxation en raison de cette enquête déterminée et exhaustive.
Al croupissait en prison et Ralph, Guzik et Nitti dirigeait l’empire ; le moment était idéal pour Ness pour rassembler assez de preuves afin de convaicre un grand jury que Capone violait la loi sur la Prohibition en plus d’omettre de payer ses taxes. Ness demanda à ses hommes de mettre sur écoute continuellement les lignes téléphoniques de Ralph. Tout ce que Ness avait amassé lui permit d’enfoncer la porte d’entrée de la brasserie de South Wabash, propriété d’Al Capone. Enhardi par ses méthodes d’homme de loi d’une autre époque, Ness et ses «intouchables» continuèrent à mettre sur écoute et à fermer les brasseries du goupe.
À la mi-mars 1930, Capone fut libéré de prison pour bonne conduite. Une semaine plus tard, Frank J. Loesch, de la Commission sur le crime de Chicago, mis sur pied une liste d’ennemis publics : à la tête de cette liste figurait Alphonse Capone, Ralph Capone, Frank Rio, Jack McGurn et Jack Guzik, tous des collègues de Capone. La liste fut diffusée dans les journaux et fut surnommée par J. Edgar Hoover comme étant la liste des criminels les plus recherchés du FBI. Al Capone, qui voulait tellement être considéré comme un membre influent de la communauté, était maintenant l’«ennemi public numéro 1». Il était enragé, humilié et grandement insulté.
Durant le même mois, Elmer Irey se rendit à Chicago pour rencontrer l’agent Arthur P. Madden et de planifier leur stratégie. Il devenait clair pour eux que, pour réussir à court terme, ils leur fallait infiltrer l’organisation de Capone. Avant de retourner à Washington, Irey passa deux jours dans le lobby du Lexington Hotel, se faisant passer pour un vendeur. Dès qu’il eut une meilleure idée du type de gens qui gravitaient autour de Capone, il décida de trouver deux agents doubles qui pourraient, en se faisant passer pour des gangsters, infiltrer l’organisation de Capone.
«Le choix évident était Michael J. Malone. C’était un bon acteur, ayant de la facilité à se mêler aux autres. Il avait des nerfs d’acier et une intelligence aiguisée. Son teint foncé, presque méditérannéen et sa connaissance de l’italien faisait de lui le candidat idéal pour infiltrer l’empire à majorité italienne de Capone.» (Ludwig, Smith) Un autre agent double fut choisi comme partenaire dans cette entreprise risquée. Malone allait porter le nom De Angelo et l’autre agent, celui de Graziano. La création de leur nouvelle identité de petits escrocs de Brooklyn fut l’objet d’efforts constants. Leur vie en dépendait puisque la bande de Capone ne manquerait pas de passer au peigne fin chaque détail de leur identité. La réussite de l’infiltration tenait à l’apprentissage du rôle de chacun.
Un intermédiaire devait être trouvé puisque ni Graziano ni De Angelo ne pouvait être vu en train de converser avec Irey ou Madden. Frank J. Wilson, 43 ans, fut désigné. Il allait être intermédiaire tout en s’occupant de la coordination de l’opération et d’une partie de l’investigation. En juin 1930, Wilson reçu l’approbation de la part de l’éditeur eccentrique du Chicago Tribune pour questionner un de leurs journalistes. Jake Lingle était un ami d’Al Capone et se vantait de la relation. Selon Bergreen, Lingle voulait plus que la connection profitable qu’il avait avec le groupe. «Son influence lui faisait croire qu’il était invulnérable alors qu’en vérité, c’était tout le contraire. Agir comme agent double ou agent triple était trop palpitant pour résister à une telle offre. Non satisfait du rôle qu’il jouait déjà, il accepta pour servir d’informateur pour le gouvernement fédéral.»
L’assermentation de Lingle était prévue pour le 10 juin ; la veille, il fut assassiné d’une balle derrière la tête. Le tollé fut sans précédent. Capone le suivi de sa maison de Miami Beach. Lorsque questionné au sujet de Lingle, Capone répondait que les journaux et les journalistes devraient s’occuper de combattre le crime plutôt que de l’encourager. Il rajoutait que ce n’était pas à lui de mentionner cela mais que c’est ce qu’il croyait. Pendant ce temps, Mike «De Angelo» s’installa au Lexington Hotel, revêti des habits luxueux et occupa son temps à lire les journaux au bar. Éventuellement, les acolytes de Capone lui parlèrent et lui posèrent des questions sur ses antécédents.
«Nous voulons savoir la vérité sur vous», lui dit un des gangsters. «Vous avez l’air de quelqu’un en fuite qui pourrait être intéressé par une proposition. Le monde est petit puisque nous pourrions peut-être avoir une telle proposition pour vous.» De Angelo joua le jeu. «En fait, je suis ouvert à une proposition, mais elle doit en valoir la peine. Si vous voulez toute l’histoire, je ne connais pas la raison de ma venue ici sauf pour l’occasion de rencontrer le Big Boy.»
Le gangster lui répondit qu’il devait faire quelques vérifications mais l’invita à rester encore quelques jours afin qu’il puisse lui donner une réponse. De Angelo espérait ne pas avoir fait de faux pas ou il serait un homme mort. Quelques jours plus tard, il fut invité à rencontrer les membres du groupe et Capone lui-même lors d’une grande fête. Pleinement au courant que Capone invitait à un repas les traîtres pour ensuite les battre à coups de bâton de baseball, De Angelo se rendit à l’endroit mentionné nerveusement. Heureusement, la minutie D’Irey lors de la confection de l’identité de son agent fut largement récompensée. De Angelo fut nommé croupier au sein d’une des maisons de jeu de Capone à Cicero.
Juste avant le procès de Ralph Capone, De Angelo découvrit que la bande de Capone allait s’occuper des témoins du gouvernement. Grâce au travail de son agent, Irey augmenta la protection des témoins. Le résultat fut un verdict de culpabilité pour l’accusé et aucun «accident» pour les témoins. Quelques mois plus tard, Graziano rejoignit De Angelo et prit un emploi consistant à surveiller les livraisons de bière de Capone. Juste avant Noël, les deux agents découvrirent un complot contre Wilson et l’arrêtèrent juste à temps. Maintenant que Capone connaissait le rôle de Wilson, Irey voulut lui donner une autre assignation. Wilson refusa net. Cette atteinte à sa vie ne faisait que renforcer sa détermination quant à coincer Capone.
La vraie récompense des efforts des agents vint au cours d’une conversation entre Graziano et un des employés de Capone. «Les gars du fisc ne sont pas trop intelligents. Ils ont des preuves contre Al depuis cinq ans qui pourraient l’envoyer en prison mais ils sont trop idiots pour s’en appercevoir.» La montagne d’informations recueillie lors d’un précédent raid au Hawthorne Hotel incluait un grand livre où étaient indiquées les opérations financières du Hawthorne Smoke Shop pour les années 1924-1926. Ce dont Irey avait maintenant besoin était l’identité des deux comptables ayant fait les entrées. L’écriture ne correspondait à aucun des hommes de Capone. Il y avait beaucoup de chance que Capone les ait fait éliminer lors de la saisie.
Graziano prit un risque énorme et demanda à son interlocuteur si on s’était «occupé» des comptables. Le gangster lui répondit que les deux hommes n’avaient pas été liquidés puisqu’ils n’étaient que deux drogués qui avaient quitté la ville lors de la saisie. Chose incroyable, le gangster lui donna alors le nom des deux hommes : Leslie Shumway et Fred Weiss. Alors que 1930 tirait à sa fin, Capone débuta une vaste campagne de publicité. Il mit sur pied une soupe populaire destinée aux gens qui avaient perdu leur emploi à cause de la dépression. Pendant les deux derniers mois de l’année, la soupe populaire servi trois repas gratuits par jour. «La soupe populaire était calculée soigneusement afin de réhabiliter son image auprès de la population de travailleurs qui, avait-il réalisé, avait commencé à le voir comme un autre géant incroyablement riche.» (Bergreen)
Au début de 1931, les hommes d’Irey retrouvèrent Shumway à Miami, travaillant ironiquement aux pistes de course Hialeah, où Capone allait presque quotidiennement lorsqu’il était dans la ville. Frank Wilson se rendit à Miami afin de questionner Shumway et réussit à s’enfuir de la ville en compagnie du comptable une demie heure avant qu’une voiture remplie de gros bras n’arrive afin de s’occuper du délateur. Fred Reiss s’était caché à Peoria, Illinois. Les deux hommes acceptèrent de coopérer pleinement à l’enquête en échange de protection. D’autre part, Eliot Ness connaissait un succès certain à retracer et cadenasser les brasseries de Capone. Lui et ses intouchables avaient en leur possession des preuves de violation de la loi sur la Prohibition qui allaient être utilisées si l’accusation d’évasion fiscale ne fonctionnait pas.
Ness désirait autant humilier Capone publiquement que l’envoyer en prison. Le meurtre d’un de ses amis fut le point de départ du plan pour embarrasser publiquement Capone. Les nombreuses saisies dans les brasseries et les magasins de liqueur avaient permis de ramasser quelques 45 camions, la plupart neufs. Afin d’entreposer la collection de camions destinés à la vente aux enchères, le gouvernement avait loué un lieux d’entreposage afin d’y garder les véhicules. Il fallait cependant y amener les camions saisis. Ness eut l’idée de porter un coup à l’orgueuil de Capone, ce que personne n’avait encore tenté. Il fit polir les camions et s’organisa pour que des chauffeurs les conduisent. Lorsque tout fut au point, il fit son coup le plus audacieux. Il passa un coup de fil au Lexington Hotel, où Capone avait ses quartiers et réussit parler à Capone lui-même.
«Eh Snorkey», un surnom utilisé par les plus proches de Capone, «je voulais te dire que si tu regardes par la fenêtre donnant sur Michigan Avenue à 11h tappant, tu verras quelque chose qui devrait t’intéresser.»
«Qu’est-ce qu’il y a ?» demanda Capone, une curiosité évidente dans la voix.
«Regarde et tu verras» lui répondit Ness avant de raccrocher.
Le convoi passa devant le quartier général de Capone à 11h du matin. Avançant lentement, celui-ci passa devant un groupe de gangsters affiliés à Capone regroupés devant l’hôtel. Ness pouvait apercevoir la comotion sur le balcon de Capone. C’était un grand jour pour Ness et son équipe. «Ce que nous avons réussi ce jour-là était d’enrager les criminels les plus sanglants de l’histoire. Nous avons mis sous leur nez la défiance des intouchables ; ils devaient savoir que nous étions préparés à nous battre jusqu’à la fin.»
Ness avait réussi à rendre Capone hors de lui. Tout de suite après la parade, Capone traversa sa suite, brisant tout sur son passage. Non seulement Ness avait-il réussi à enrager Capone mais il avait aussi pris une bouchée substancielle de l’entreprise criminelle. De l’équipement de brasserie valant plusieurs millions de dollars avaient été saisis et détruit, des milliers de litres de bière et d’alcool avaient été jetés en plus des plus importantes brasseries qui avaient été fermées.
La mise sur écoute des lieutenants de Capone révélèrent la gravité de la situation. La bande avait dû réduire ses pots-de-vin et ses paiements aux policiers. La bière devait être importée afin de fournir les bars clandestins qui auparavant se fournissaient chez Capone. Les choses s’agravèrent lorsqu’un raid ferma une opération gigantesque qui fournissait 20 000 gallons par jour. La mission du gouvernement tirait à sa fin au début du printemps 1931. Devant l’ordonnance de limitation de six ans pour les premières preuves, le gouvernement se devait de porter des accusations sur les preuves dattant de 1924 avant le 15 mars 1931. Quelques jours avant cette date, le 13 mars, un grand jury fédéral fut réuni afin de vérifier l’accusation selon laquelle Capone devait 32 488,81$ en taxes pour l’année 1924. Le jury inculpa Capone, inculpation qui demeura secrète jusqu’à ce que l’enquête soit complète pour les années 1925 à 1929.
Le 5 juin, le grand jury se rencontra de nouveau et inculpa Capone de 22 chefs d’accusation d’évasion fiscale totalisant plus de 200 000$. Une semaine plus tard, une troisième inculpation fut votée concernant les preuves amassées par Ness et son équipe. Capone et 68 membres de sa bande furent accusés de près de 5000 violations du Volstead Act, certaines datant d’aussi loin que 1922. Les accusations d’évasion fiscale allaient cependant passer avant les accusations réliées à la Prohibition. Capone risquait 34 ans de prison si le gouvernement gagnait sur toute la ligne. Les avocats de Capone présentèrent au procureur général Johnson une proposition. Capone allait plaider coupable en échange d’une sentence légère. Johnson, après en avoir discuté avec Irey et le nouveau secrétaire du Trésor Ogden Mills, accepta l’offre et s’engagea à recommander une sentence de deux à cinq ans.
Pourquoi le gouvernement, après tous ses efforts, accepta-t-il une sentence si légère ? Premièrement, malgré tous les efforts afin de cacher Shumway et Reiss, il était douteux que les deux hommes vivent assez longtemps pour témoigner. Capone avait mis leur tête à prix pour 50 000$ chacun. Quelques doutes subsistaient également concernant l’ordonnance de limitation de six ans, à savoir si elle serait acceptée par la Cour Suprême. Une cour d’appel avait déjà rendu une décision sur une ordonnance de trois ans pour l’évasion fiscale. Finalement, les risques étaient élevés pour que le jury soit soudoyés ou intimidé.
Lorsque la nouvelle de l’accord fut connue, la presse exprima son outrage quant au fait que Capone puisse s’en sortir aussi bien. Capone était un homme heureux lorsqu’il se rendit en cour le 16 juin. Lorsqu’il plaida coupable, le juge Wilkerson ajourna la séance jusqu’au 30 juin. Capone dit à la presse qu’il analysait des offres des studios de cinémas afin de faire un film sur sa vie. Il était de fort bonne humeur lorsqu’il revint devant le juge pour recevoir sa sentence.
Le juge Wilkerson avait cependant une surprise pour Al. «Les parties d’une cause criminelle ne peuvent stipuler sur le jugement qui sera rendu» dit fermement le juge. Il leur dit clairement que que même si il allait écouter attentivement les recommandations de Johnson, il n’était pas obligé d’y souscrire. «Il est temps que quelqu’un fasse comprendre à l’accusé qu’il est absolument impossible de négocier avec une cour fédérale.» Ce fut un choc pour Capone. L’accord était à l’eau et Al était inquiet. Il fut autorisé à retirer sa déclaration de culpabilité et un procès fut fixé pour le 6 octobre.
Capone passa son été en liberté dans son ancienne cachette de Lansing, au Michigan, apparemment résigné au procès. Cependant, les membres de sa bande avaient obtenu la liste de jurés potentiels et se mirent à les soudoyer de toutes les manières possibles. Wilson eut vent des manoeuvres et, en compagnie de Johnson, en fit part au juge Wilkerson. Le juge n’était ni surpris, ni inquiet. «Préparez votre cause tel que prévu et laissez-moi m’occuper du reste.»
Le 6 octobre 1931, quatorze détectives escortèrent Capone au palais de justice. Les mesures de sécurité étaient des plus serrées ; Capone fut conduit à la salle où le procès allait se dérouler par un tunnel puis un monte-charge. Le tsar du crime portait un habit conservateur de serge bleue. Aucune bague ou bijoux voyants cette fois. Les journaux avaient envoyé leur meilleur journaliste, la crème de la crème du milieu journalistique. La question posée constamment à l’accusé était : «Êtes-vous inquiet ?»
«Inquiet ?» répondait avec un sourire Capone. «Qui ne le serait pas ?» Bergreen note qu’alors, Al démontrait une certaine confiance. Il croyait que son organisation s’était occupé du jury et que tout ce qu’il lui restait à faire était de se présenter en cour chaque jour, être poli et respectueux jusqu’à ce qu’il soit déclaré non coupable. À ce moment, il resterait magnanime et dirait à la presse qu’il n’en voulait pas aux gars du gouvernement puisqu’ils ne faisaient que leur boulot.
L’équipe du gouvernement était composée du procureur général Georges E. Q. Johnson, un homme grand portant des lunettes cerclées d’or, et des procureurs Samuel Clawson, Jacob Grossman, Dwight Green et William Froelich. Un journaliste fit la comparaison entre Johnson et Capone :« le visage aux traits gras de Capone, la boule de chair à l’arrière du cou est contrastante avec le visage mince du procureur, sa tignasse grise ainsi que son apparence sèche.»
Le juge Wilkerson fit son entrée. Il n’avait pas revêtu sa robe sur son habit sombre. «Le juge Edwards préside un procès commençant aujourd’hui» annonça-t-il. «Allez chercher le jury dans sa salle d’audience et amenez-lui le jury ici présent.» Tout le monde était surpris, mais pas autant que Capone et son avocat, Me Michael Ahern. Le nouveau jury, des hommes blancs provenant de la campagne pour la plupart, n’avaient jamais figuré sur la liste qu’avait en main Capone et n’avaient donc pu être soudoyés. Ces jurés allaient être séquestrés rendant impossible toute atteinte par l’organisation de Capone.
Le 17 octobre, Johnson fit le résumé des débats devant un jury composé d’hommes provenant d’un milieu rural, tout comme lui. À la suite de l’énoncé des faits, il se concentra sur Capone. «Je suis un peu surpris de la manière dont la défense a usé afin de créer l’illusion de mystère et de romance entourant cet homme. Qui est-il ? Qui est cet homme qui, durant les années prises en considération durant ce procès, a si largement dépensé, selon ses déclarations, près d’un demi million de dollars ?Est-il le petit garçon qui a trouvé l’or au pied de l’arc-en-ciel qu’il a dépensé sans compter, ou est-il, comme le prétend son avocat, Robin des Bois ? Est-ce Robin des Bois qui a acheté pour 8 000$ de boucles de ceinture ornées de diamants afin de les donner aux chômeurs ? Non. Était-ce Robin des Bois qui a payé une facture de viande au montant de 6 500$ ? Est-ce allé aux chômeurs ? Non, mais plutôt à la maison sur Palm Island. A-t-il acheté ces chandails à 27$ afin de les donner aux hommes tremblant de froid et dormant sous Wacker Drive la nuit ? Non.
L’accusé a-t-il, à quel que temps ou quelqu’endroit que ce soit, dirigé une affaire légale ? Y a-t-il eu quelqu’apparence de contact avec une telle entreprise ? Quel tableau avons-nous ici : aucun revenu mais des boucles de ceinture ornées de diamants, des chandails à vingt-sept dollars, des meubles pour sa maison, soit 116 000$ non déductible de ses revenus. Malgré tout, son avocat vient nous dire que cet homme n’a aucun revenu !»
Tard le samedi soir 17 octobre 1931, après neuf heures de délibérations, Capone fut déclaré coupable sous quelques uns des chefs d’accusation d’évasion fiscale. Le samedi suivant, le juge Wilkerson condamna Capone à onze ans de pénitentier, cinquante mille dollars d’amende et à payer 30 000$ en frais de cour. La caution lui fut refusée Capone fut transporté à la prison du comté de Cook en attendant son transfert au pénitentier fédéral.
«Capone tenta de sourire», rapporta le New york Times, «mais c’était un sourire amer. Il léchait ses grosses lèvre. Il se dandinait sur ses jambes. Sa langue tambourinait l’intérieur de ses joues. Il essayait d’être nonchalant mais ses mouvements trahissaient ses sentiments de colère. Il était sur le bord de piquer une sainte colère. Un dur coup venait d’être porté au chef d’un immense empire. Il tortillait ses doigts maladroits derrière son dos.»
Alors que Capone quittait le palais de justice, un officiel du fisc confisqua sa propriété afin que le gouvernement puisse récupérer ses taxes impayées. Capone perdit son calme et tenta d’attaquer l’agent mais fut retenu par les officiers qui en avait la garde. Le gouvernement décida de ne pas poursuivre Capone pour les violations envers la Prohibition, dont les preuves avaient été amassées grâce à un long et ardu travail de la part de Ness et de ses agents. Ces dernières furent conservées afin de servir si Capone réussissait à se défaire de l’accusation d’évasion fiscale. L’appel logé fut refusé et, en mai 1932, les intouchables escortèrent Capone au train qui allait l’amener au pénitentier d’Atlanta.
Ness s’assura que les compartiments du train étaient sécuritaires et vérifia une dernière fois le prisonnier, qui avait retiré son manteau et allumé un cigare.
«Je suis en route pour faire onze ans», dit-il, regardant Ness. «Je dois le faire, c’est tout. Je n’en veut à personne. Certains sont chanceux. Je ne l’ai pas été. De toute façon, il y avait trop de chose en dehors de mon pouvoir, payer des droits et remplacer les camions et les brasseries. Ils devraient rendre cela légal.»
«Si c’était légal, tu ne voudrais pas y être associé» lui répondit Ness en s’éloignant, le voyant pour la dernière fois.
Le frêre aîné d’Al Capone, James Vincenzo Capone, quitta la maison de Brooklyn en 1908, à l’âge de 16 ans. Ayant toujours été entêté et indépendant, il voulait fuir la ville surpeuplée et gagner l’Ouest, où l’avenir était plus prometteur. Fort et musclé, avide d’aventures et de grands espaces, il joignit une troupe de cirque et voyagea à travers le Midwest. Il fut confronté pour la première fois aux indiens et développa une facination pour leur culture.
Il devint aussi très habile avec les armes et, lorsque la Première Guerre Mondiale éclata, il s’enrôla et fut envoyé en France avec la force expéditionnaire américaine. C’était un excellent tireur d’élite en plus d’être un bon soldat et il fut promu lieutenant. Il fut le seul fils Capone de cette génération à se battre lors de la Première Guerre. Sa famille restée à Brooklyn n’avait pas connaissance de son service militaire. Il avait en quelque sorte coupé tout contact avec sa famille.
Après la guerre, il prit un train allant au Nebraska et s’installa dans la petite ville de Homer où, en 1919, il secouru une jeune femme nommée Kathleen Winch ainsi que sa famille lors d’une innondation soudaine.Peu après, Capone, qui avait prit le nom Richard Hart, épousa la jeune femme. Alors que sa famille s’élargissait, il tenta de vivre une vie ordinaire à Homer mais le besoin d’aventures se fit bientôt sentir.
Lorsque la loi sur la Prohibition fut votée en 1920, Hart y vit l’occasion d’occuper un emploi plus intéressant où ses qualités de tireur seraient utiles. Il devint officier de la Prohibition. Incroyablement, alors que son jeune frêre établissait sa réputation de contrebandier à Chicago, son grand frère se faisait un nom en combattant aggressivement les alambics illégaux au Nebraska. Il n’était pas seulement un agent de la Prohibition mais aussi gardien de la paix aux frontières, arrêtant régulièrement les voleurs de chevaux et autres criminels.
Alors que sa réputation d’homme de loi grandissait, il fut engagé par le ministère des affaires indiennes américain afin d’empêcher l’alcool de pénétrer à l’intérieur des réserves. Hart, sa femme et ses quatre fils s’établirent au sein des tribus, notament les Sioux et les Cheyenne. Au cours de son travail, lui et sa famille apprirent plusieurs langues indiennes et nouèrent de très bonnes relations avec les chefs de tribu.
Son incroyable capacité à manier les armes ainsi que la paire le pistolets ornés de perles accrochée à sa ceinture lui valurent le surnom de «Two-Gun Hart». Dans une partie du Midwest, les gros titres disaient : «Two-gun Hart attrape son homme» et «Two-Gun Hart enferme les contrebandiers d’alcool». À un moment, Two-Gun fut garde du corps pour le président Calvin Coolidge. Ses deux frères cadets, quant à eux, occupaient les premières pages des journaux d’une manière différente dans une autre partie du Midwest.
Hart continua sa carrière d’agent de la Prohibition jusqu’à ce que celle-ci soit terminée. Il devint alors shérif de la ville natale de son épouse, Homer, au Nebraska. Hart était très attaché à sa famille et apprit à ses fils et petits-enfants les rudiments de la chasse et les sports de plein-air. Il garda cependant longtemps secret son vrai nom et ses origines. Éventuellement, au début des années quarante, il contacta discrètement ses frères à Chicago et rencontra Ralph et John Capone à Sioux City, en Iowa. Il se rendit alors à Chicago afin de voir sa mère, Theresa. Lorsqu’il revint chez lui, il annonça à Kathleen et à ses fils qu’il était en fait le frère d’Al Capone. Lors de plusieurs instances, lorsque les difficultés financières affligeaient le famille Hart, son frère Ralph l’aidait en lui envoyant un chèque.
En 1946, Two-gun permis à son fils Harry Hart de l’accompagner au chalet familial des Capone au Wisconsin où il aurait la chance de rencontrer son célèbre oncle, Al Capone, qui au même moment était sorti de prison et souffrait de syphilis tertiaire. Two-Gun averti Harry de ne pas trop s’attacher à son oncle durant cette visite. Les deux frères appartenaient à deux mondes différents. Hart ne voulait tout simplement pas que son fils soit influencé par un des personnages de cet autre monde.
En 1952, Two-gun Hart fut terrassé par une crise cardiaque qui lui fut fatale. Kathleen et Harry étaient à ses côtés. Son fils ainé, Richard Hart Jr, avait été tué lors de la Deuxième Guerre Mondiale alors que ses deux autres fils s’étaient établis au Wisconsin. Cela semble inconcevable que les deux frères, Al Capone et Richard Hart, puissent avoir vécu des vies si différentes chacun d’un côté de la loi. Cependant, lorsqu’on regarde les qualités qui ont rendu possible leur succès, des similarités sont évidentes : intelligence, initiative, prise de risques, force de caractère et du devoir, persistence et conviction, en plus de leur capacité à diriger et à persuader les autres. Étrangement, c’était une loi du pays, la Prohibition, qui amena ces mêmes qualités à se manifester.
Initialement, Al fut emprisonné au pénitentier américain d’Atlanta et en devint très rapidement son plus célèbre prisonnier. Des accusations fusèrent presque immédiatement qu’il y vivait comme un roi. Alors que ‘c’était clairement une exagération, il vivait mieux que les autres prisonniers. Il avait plus de bas, sous-vêtements, paire de draps, etc. que tout autre prisonnier. Il entretenait ces extravagances grâce au manche creux de sa raquette de tennis qui contenait plusieurs milliers de dollars comptant. En 1934, le procureur général Homer Cummings prit le contrôle de la prison située sur l’Île d’Alcatraz afin d’y loger les criminels dangereux et insoumis. Lors d’un discours radiophonique, Cummings expliqua que «sur l’île seront isolés les criminels dangeureux et incorrigibles afin que leur influence malsaine ne puisse s’étendre aux autres prisonniers».
En août 1934, Capone fut transféré à Alcatraz. Ses jours de pacha étaient terminés. «Capone ne pouvait rien diriger sur ou à partir d’Alcatraz ; il n’allait même pas avoir connaissance de ce qui se passerait à l’extérieur. Il n’y aurait pas de lettres ou de messages clandestins. Toutes lettres entrantes étaient censurées puis retapées par les gardes en omettant les sujets interdits, ce qui incluait la moindre mention d’entreprises ou des actions d’anciens associés. Les censeurs enlevaient même les mentions de nouvelles courrantes. Les journaux étaient interdits et les magazines devaient dater de plus de sept mois. La seule source d’information était les nouveaux arrivants. Au mieux, les prisonniers pouvaient écrire une lettre par semaine, elle-même censurée, et cela au membres immédiats de la famille seulement. Les visites étaient limitées à la famille, au nombre de deux par mois et devaient faire l’objet d’une demande par écrit au directeur chaque fois. Aucun contact physique n’était permis entre visiteurs et prisonniers. Ils étaient séparés par une vitre… Personne ne pouvait fournir de l’argent à Capone, argent qu’il n’aurait de toute façon pas pu utiliser.» (Schoenberg)
Comment fit Capone pour s’adapter à cette perte de popularité et cette baisse de statut ? Il semblait s’ajuster plutôt bien et s’accordait mieux que quiconque à sa nouvelle vie. Ce n’était cependant pas la même chose côté santé. La syphilis contractée alors qu’il était très jeune entrait dans la phase tertiaire, appelée neurosyphilis. Dès 1938, il était confus et désorienté. Al passa la dernière année de sa sentence, qui avait été réduite à six ans et cinq mois pour sa bonne conduite et le travail effectué, dans l’infirmerie afin de soigner sa syphilis. Il fut libéré en novembre 1939. Mae le conduisit dans un hôpital de Baltimore où il fut soigné jusqu’en mars 1940.
Sonny Capone semblait être un jeune homme remarquablement amical et bien ajusté malgré ses origines inhabituelles. En 1940, il épousa une irlandaise et élu domicile à Miami. Sonny et Diana donnèrent à Al et Mae quatres petites-filles qui reçurent beaucoup d’attention. Pendant ses dernières années, la santé d’Al se détériora lentement au sein de la splendeur de son domaine de Palm Island. Mae l’accompagna jusqu’au 25 janvier 1947, date à laquelle il mourru d’une crise cardiaque entouré de sa famille éplorée. Une semaine auparavant, Andrew Volstead, père du Volstead Act qui mena à la Prohibition de 1920 à 1933, mourru à l’âge de 87 ans.
«Pendant quarante-huit ans, Capone marqua les racquets et Chicago et démontra plus que quiconque la folie qu’était la Prohibition ; il amassa en même temps une fortune. De plus, il captura l’imagination du public américain comme peu de figures publiques réussissent à le faire. La popularité de Capone aurait dûe être passagère mais se logea plutôt dans l’imaginaire collectif américain, pour qui il avait défini le concept du crime en une entreprise organisée calquée sur les corporations. Il ne manquait jamais de mentionner que la majorité de ses crimes étaient relatifs ; la contrebande d’alcool était illégale parce qu’un certain nombre de lois l’avait décrété. Puis les lois furent changées.»
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